Loup garou – Mia – 44 : Au delà du masque

Où Mia balance entre ses multiples esprits…

Derrière ses traits songeurs, Mia se liquéfiait, les pieds réchauffés par la tête douce d’Hawani en lupus, veillée par Kayla en plein croquis d’une fleur aux pétales en forme d’étoile, observée avec curiosité par une Bleiddwn attirée par les trois esprits combattants. L’Ecosse avait sucé ses réserves de confiance théurgique jusqu’à la moelle, ouvrant un champ des possibles étourdissant, un autre rappel qu’elle était bien petite et en savait en réalité bien peu. Elle était certaine d’avoir bien agi, d’avoir été juste. Elle s’était beaucoup donnée, confiante comme elle l’avait peu été. Essorée jusqu’à ne plus avoir la moindre goutte d’assurance. Et tous ces dilemmes se déclenchent maintenant ! Ses pensées se bousculaient :

Deux esprits puissants tout en écorce et en ramure venus de la part de mon père et de Fille de Lune. Pourquoi choisir ? Pourquoi sacrifier Fille de Lune ? Qu’adviendrait-il d’elle ? Que se passe-t-il, bon sang, évidemment que je choisirais mon père ! Serait-ce un test ? Ou pire, un appel à l’aide car seul un peut revenir car l’autre doit rester ? Est-ce vraiment lié à la prophétie ? Comment choisir quand on n’a pas tous les éléments ! Je ferais bouffer à papa ses « Tu sauras quoi faire, tu es digne et blabla », je n’en ai pas la moindre idée ! En quoi est-ce sage de choisir papa plutôt que Fille de Lune, de priver trois louves de leur mère ? Dois-je choisir l’inverse comme c’est trop évident ? Quel est le piège ? Peut-être faut-il que je liste mentalement chaque qualités et défauts de chacun, pour décider avec sagesse. Après tout, une Uktena ne vit jamais sans sacrifice, à quoi je m’attendais ? Putain, papa avait raison quand il disait que je n’incarnais pas assez les Uktena. Pourquoi ces trois gus gus apparaissent dans mon Sept pour tout refondre à coup de grandes valeurs guerrières ? À quel prix viennent-ils s’installer ? Pourquoi faut-il que des évènements étranges débarquent maintenant… !

Sa bouche se cousait un peu plus de minute en minute. Elle regarda Kishi se poser à côté d’elle dans une attente muette et respectueuse, ses plumes violettes recouvrant un parterre de mousse rose poussant sur le rocher. Kishi connaissait les réflexions de Mia.

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Cette dernière ne pouvait pas s’ouvrir à ses amis. Ou si, elle le pouvait, mais elle ne le faisait pas. Elle était une Uktena. Elle n’y arrivait pas. La serrure était rouillée. La clé perdue. Mais surtout elle ne devrait pas montrer ses faiblesses. Que dirait sa meute si elles connaissaient ses doutes ? Hawani avait été surprise qu’elle ne saute pas sur l’occasion de ces trois esprits guerriers, elle l’avait remarqué.

Mia n’aimait pas que sa meute ait assisté à son entrevu avec Eldr et Cht. C’était la même sensation que d’avoir laissé sa chambre ouverte par inadvertance.

 

Car ses repères se fissuraient. Les esprits qu’elle avait côtoyés depuis son enfance, jamais elle ne voudrait leur faire du mal, mais pas pour les bonnes raisons. Les esprits existaient pour peupler l’Umbra et les Uktena ne se servaient d’eux que comme partenaires. Pourtant… Mia se souvint avec émotions d’avoir couru des heures avec Purath, et Desi dans la forêt verdoyante de l’Umbra, d’avoir écouté le chant de Gose en plein escalade d’une lierre, d’avoir discuté longuement avec Vigar sur les différentes plantes qui tapissaient le cairn. Delsin l’avait même sévèrement puni d’un mois sans sortie umbraïque après avoir appris qu’elle caressait régulièrement les têtes duveteuses et douces de Fluffy et d’Undine. Percevoir les esprits comme des peluches innocentes était une aberration pour une théurge, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de garder cette vision enfantine, de temps en temps. C’était son Sept, et ses Esprits. Ses amis. Pourquoi fallait-il que depuis l’Écosse tout s’accélère ? Pourquoi était-elle seule ? pensa-t-elle en sentant les larmes monter.

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Kishi l’observait d’un air renfrogné. Parle à ta meute, semblait-elle lui crier de ses prunelles pareilles à des constellations, ils sont là, non ? Il n’y a aucun secret pour l’instant.

De son rocher, elle entendait clairement des Uktena fictifs lui faire la leçon, titillant ses oreilles de leur souffle lourd en humus : la protection d’abord, les émotions jamais. Tu es trop sensible auprès des esprits ! C’en était une de détruire un esprit devenu fou par le cycle de Gaïa que d’en laisser se faire détruire sans bouger le petit doigt alors qu’ils n’avaient jamais rien fait de mal, parce que la prophétie se mettait en branle. Elle n’avait jamais été insatisfaite de la traque d’Idefix, ou des facéties de Fluffy. Mais en soit, un esprit même détruit ne mourait pas. Ils renaissaient autrement par Gaïa.

Elle savait ce que l’on attendait d’elle : S’affirmer. Appuyer. Trancher.

L’Uktena savait quoi décider : accepter les trois esprits dans le Sept pour améliorer leur système défensif. C’était évident. Mais un ras de marées affaiblissait cette certitude : ne devait-elle pas protéger les esprits du Sept, ces amis qui ne devraient pas en être ? Elle était bien belle à moraliser Hawani sur son lien trop fort avec Luna, mais elle n’était pas elle-même exempte de critiques. Pourquoi souffrir de la destruction de certains esprits du Sept alors que ce n’était pas une mort définitive ?

Ils l’appelaient l’experte de l’Umbra, LA théurge, mais leur confier ses doutes, c’était perdre ce titre, entraîner de la déception chez sa meute, révéler peut-être des secrets Uktena, parler avec des non-initiés qui seraient bien incapables de la conseiller de toute façon.

Son fétiche du temps lui faisait de l’œil, des légères pousses vertes grossissant de la branche puis se rétractant en un ballet perpétuel du passé et de l’avenir. Mais non, ce n’était pas digne de consulter le futur.

Appeler les théurges du Sept était la meilleure approche selon elle. Elle n’était pas assez objective quant au cairn. Et pourquoi aurait-elle la place de premier choix alors que Moire ou Jason était encore là ? Pourquoi sentait-elle qu’Ishaga attendait quelque chose ?

Elle s’allongea sur le rocher, le regard perdu entre les feuillages bleu nuit des arbres environnants.

Mia Ituha était belle et bien perdue.

 

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