Loup-garou Hawani 45 Préparer l’avenir

Où Hawani créée des ponts avec des personnes inattendues…

13 Mars 2025

villa roof buliocut

Hawani regarda son téléphone avec hésitation. Les évènements de ces dernières semaines l’avaient fait beaucoup réfléchir. La perspective de la mort était plus tangible que jamais, maintenant qu’ils n’avaient plus qu’une seule plume et que certains d’entre eux étaient passés à quelques centimètres du voile séparant les vivants des morts. Elle avait toujours songé qu’il fallait préparer le terrain et assurer son héritage, pour ceux qui étaient laissés derrière. Et c’était ce qu’elle avait fait après Miami : testament, comptes en banque, petits mots à destination de ses proches…

Il lui restait pourtant une dernière chose à faire. Une dernière chose au résultat imprévisible, qui la forcerait à se montrer vulnérable et à mettre en marche des forces qu’elle ne maîtriserait jamais complètement.

Elle avança une main en direction de son téléphone et sélectionna le numéro de sa mère, sans pour autant oser passer l’appel. L’appareil lui faisait face, la suite de chiffres bien visible sur l’écran lumineux, la mettant au défi de sauter le pas et d’enclencher la suite.

Pas de retour en arrière. Est-ce vraiment ce que tu veux, prendre un tel virage sur les lignes temporelles ? Sans consulter Mia, sans assurance aucune que cela fonctionnera comme tu l’imagines ? Et si passer cet appel était justement ce qui provoquerait inévitablement la suite ?

La mâchoire d’Hawani se serra alors qu’elle hésitait encore. Depuis que Fillan était revenu de l’antre du Ver où il avait frôlé la mort une première fois, elle avait un scénario cauchemar qui la hantait régulièrement. Celui où Fillan et elle disparaissaient, d’une façon ou d’une autre : morts, perdus dans l’Umbra, rendus fous par une corruption inguérissable… il y avait tellement de façon pour eux de quitter la vie de leur fille.

Qu’arriverait-il à Luna dans ce cas ? Si elle était trop jeune pour s’assumer seule ? Qui la récupérerait, sous quelles conditions ?

La quasi-mort de Kayla et Fillan n’avait rien arrangé. Ils finiraient par y passer, tous, d’une façon ou d’une autre. Elle avait parlé à sa psychologue de ses rêves grinçants où elle assistait, spectre fantôme tout juste capable de regarder du côté des vivants, à l’arrivée de sa mère. La grande Aleksandra des Crocs d’Argent, seule membre de la lignée de sang de Luna à la vouloir, qui la réclamait et l’obtenait pour l’emmener à Philadelphie afin d’en faire une reine de glace. Une femme forte, puissante, mais froide, si froide, comme celle que semblait lui dépeindre Qamaria, l’hypothétique petite-fille qui lui avait parlé dans la vision provoquée par Leofe.

Hawani refusait cette possibilité. Son alter ego a qui elle avait volé la place dans cette ligne temporelle avait jugé bon de couper les ponts avec sa mère ; l’incident du Fianna « volé » aux vampires de Philadelphie et le scandale de la naissance de Luna avaient de toute façon achevé de rompre le peu de liens qui les unissaient. Et oui, c’était sans doute une façon de protéger sa fille que de tenir sa grand-mère à l’écart. Mais c’était également une stratégie dangereuse : sans lien affectif, sans connaissance l’une de l’autre, tout ce qui restait était l’opportunisme politique, la peur du sacrilège que Luna représentait, et l’envie d’utiliser ou de supprimer cet élément perturbateur de la Litanie.

Hawani inspira un grand coup, et se saisit du téléphone.

 

Il n’était plus temps de réfléchir, son instinct lui soufflait que c’était la bonne chose à faire.

D’une traite, elle écrivit et envoya le SMS suivant :

« Bonjour Mère, j’espère que toute la famille se porte bien. Ici les choses suivent leur cours. Aujourd’hui Luna a fait son premier bouquet de fleurs. Elle aime le jaune et remplit le vase jusqu’à ce qu’il déborde. Bien à toi, Hawani. »

Advienne que pourra.

Elle regarda son téléphone, le cœur battant, incapable de détacher son regard de l’appareil. Elle avait contacté sa mère pour Miami, mais c’était du business, rien à voir avec ce genre de banalités et de contenus. Que ferait-elle si elle ne recevait pas de réponse ? Hawani réalisa qu’elle n’y avait même pas réfléchi. Faudrait-il insister ? Abandonner ? Appeler, et si oui, que dire ? Et si…

Le cœur d’Hawani rata un battement alors qu’une simple phrase s’affichait sous son message :

« L’art floral est un loisir noble. »

La jeune femme laissa échapper un rire nerveux et tout son corps se détendit. Elle s’affala dans le canapé, le téléphone sur les cuisses, la respiration haletante. Ses doigts pianotèrent maladroitement une réponse.

« Elle a des progrès à faire, mais c’est encourageant. »

Elle reposa ensuite le téléphone sur la table basse et se leva pour aller préparer du thé.

 

9 avril 2025

Coopers Rock State Forest, Morgantown, WV. | State forest, Coopers rock ...

Hawani attendait à l’orée des bois qui bordaient Morgantown. Aleksandra avait appelé trois jours plus tôt pour réclamer la faveur qu’elle lui devait depuis Miami, et elles s’étaient données rendez-vous dans une ville neutre pour en discuter en toute tranquillité. Apparemment, sa mère avait des doutes sur la direction que prenait son Sept, trop proche des vampires et trop éloigné des Garous, recroquevillé sur lui-même et braqué sur ses fantasmes de grandeur… Philadelphie n’avait pas beaucoup d’alliés dans la nation, et les vampires avaient su fournir des renseignements et des serviteurs pour lutter contre le Ver là où leurs semblables étaient restés sourds à leurs demandes de soutiens répétées. La démarche de leur Grand Ancien était compréhensible, favorisant le court terme et la survie, mais Hawani partageait la vision d’Aleksandra : un tel isolement devenait problématique et précipitait la chute du Sept. Personne ne souhaitait une telle chose.

Aleksandra réclamait une visite de la meute de l’Aurore à Philadelphie, mais elles n’avaient pas encore discuté des détails. Hawani avait fait la route en voiture, elle s’était levée aux aurores et elle était fatiguée. Heureusement, cette recette de boisson énergétique maison était au moins aussi efficace que les cochonneries chimiques que s’enfilait Fillan quand il jouait les hackers ! Restait le goût, mais ça…

Les oreilles d’Hawani l’avertirent de l’arrivée d’un véhicule à moteur, une moto sans doute. Sa vision confirma les choses alors qu’un engin noir débarquait dans son champ de vision quelques secondes plus tard. Elle rangea en vitesse son sandwich entamé dans son sac alors que la moto s’arrêtait à côté d’elle, faisant voler des éclats de boue à ses pieds. Le conducteur retira son casque, révélant une tresse brune et un visage féminin sévère.

 

Aleksandra fit un signe rapide de la main à Hawani et, sans prendre le temps de ranger son casque, se dirigea vers la forêt.

Je devrais me mettre à la moto moi aussi… Le jour où je débarque comme ça à la maison Fillan ne s’en remettra pas ! pensa Hawani tout en s’empressant de prendre ses affaires et de suivre sa mère pour ne pas la perdre de vue.

Cinq minutes plus tard et les deux femmes se trouvaient à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, du moins l’espéraient-elles.

Aleksandra prit la parole :

  • Le temps est précieux. Si tout va bien, moi aussi, passons à la suite. De quoi as-tu besoin ?

  • J’aimerais en connaître plus sur l’état du Sept et l’équilibre des forces, répondit Hawani en adoptant le même ton pressé et sérieux que sa mère. J’aimerais connaître, même rapidement, l’ampleur qu’a pris la question vampirique chez vous. J’aimerais aussi la liste des griefs que vous avez encore contre nous, et notre Sept, afin de savoir quelle approche adopter.

Aleksandra hocha la tête au fur et à mesure des paroles de sa fille. Elle exprima ses doutes sur la gestion de son Grand Ancien, trop crédule à ses yeux sur la bonne volonté des vampires qui les aidaient depuis des mois en échange de broutilles. Hawani laissa passer lorsque sa mère mentionna l’arrogance et la déviance du Sept de Detroit : elle n’était pas venue pour justifier des choix de sa communauté. En revanche, ce qu’attendait sa mère était clair. Un électrochoc. La meute de l’Aurore, auréolée de gloire, devait pouvoir provoquer un sursaut au sein du Sept. Leur rappeler ce qu’était l’âme Garou, faire rebattre le cœur de loup de certains à leur contact. Quelques jours de présence, sans agenda politique ou marché à négocier. Inspirer, rapprocher, consolider, malgré les différences de vision du monde.

Hawani était attentive au moindre mot, à la moindre tournure qui pourrait lui laisser deviner qu’il s’agissait d’un piège… Mais si c’en était un, elle ne le détecta pas. Aleksandra semblait sincèrement inquiète pour les siens, et sincèrement préoccupée par l’avenir de son Sept. Elle ne souhaitait pas la visite immédiatement, mais elle semblait vraiment vouloir redonner une flamme aux siens, un peu de cette spiritualité et de ce lien à Gaïa qui rassemblait tous les Garous.

C’était exactement ce que Hawani souhaitait défendre. Au-delà de la faveur, la cause était juste. Il faudrait en parler à la meute bien sûr, mais elle ne voyait rien qui pourrait empêcher Fillan, Mia ou Kayla d’accepter cette visite. Lorsque Kayla serait mieux, elle saurait toucher l’âme de ces Garous et les rapprocher de Gaïa. Elle, et le reste de la meute également.

Elle questionna sa mère sur l’approche à déployer pour la visite. La liste des sujets consensuels était bien courte comparé aux points de tension… Hawani repéra néanmoins une porte d’entrée qu’elle saisit immédiatement.

« Luna ? Quelle est la place de Luna chez vous ?

-Ça dépend de chez qui tu parles. Chez certaines et certains elle est préférée à Gaïa. Chez d’autres c’est l’inverse. Mais en tout état de cause, tu as appelé ta fille de son nom, certains ont été choqués de cet affront.

-Je vois… Ceux qui ont été choqué de cet affront savent-ils que j’ai été invitée dans son royaume ? Que c’est elle-même qui a réclamé le nom de ma fille ? Enfin, peu importe… J’imagine que de toute façon Luna sera un sujet contentieux, et donc à éviter. En d’autres circonstances, j’aurais aimé partager ma dévotion avec d’autres…

-Ce n’est pas impossible, l’interrompit Aleksandra. Avec les bonnes personnes… Quant à te croire, non ils ne le font pas. Parce que cela fait des siècles que ce n’est pas arrivé. Peut être même un millénaire. Difficile à croire, non ? »

Hawani sourit et répondit :

« Oui, je le comprends. Et j’espère que viendra le jour où je pourrais effacer leurs doutes. En attendant, ce n’est pas en imposant ma légitimé d’élue de la Lune que je vais calmer les choses chez toi…

-Calmer les choses n’est pas forcément ce que je te demande. Peut-être que mentionner ta fille et son prénom pourrait faire réagir les plus conservateurs. Mais ce n’est peut-être pas un jeu que tu veux jouer…

-Oh », lâcha Hawani, surprise.

Elle observa sa mère quelques secondes en silence, étonnée de la voir lui demander à demi-mots de venir secouer son Sept de la sorte. Elle finit par dire :

« Je souhaite te rendre service, en retour du soutien que tu m’as apporté pour Miami. Mais plus encore je veux rouvrir le contact avec Philadelphie, la situation ne peut plus durer ainsi. Alors si ta question est de savoir si je suis prête à venir chambouler les choses par ma simple présence… La réponse est oui. Je suis prête. Je peux venir faire réfléchir tes Anciens en leur imposant la vision qu’ils refusent de voir : Luna est avec moi, avec nous, et ils auraient tout intérêt à nous reconnaître comme cousins.

-Une position que je trouve intéressante mais qui peut t’amener des ennemis, des provocations en duel, des inimitiés durables. Il faudra agir politiquement, parfois ne pas réagir et parfois surréagir, au bon moment. Ta meute en est-elle capable ? Je n’ai pas de doute pour toi mais je dois te questionner pour les autres, évidemment.

-Ma meute a la capacité à chambouler mais c’est plutôt un avantage qu’un inconvénient. Ils m’ont appris à improviser et parfois c’est la meilleure des possibilités… Parfois non. Quoiqu’il en soit, nous savons ce que nous valons, et je n’ai pas peur des conséquences. Je crois avoir vu que votre chasseresse principale bénéficiait elle aussi de la faveur d’un esprit lunaire au moins en fétiche. Elle n’avait pas l’air prête à jouer la carte de la sororité la dernière fois, mais sa dévotion à Luna pourrait-elle lui permettre de plier et d’accepter ma présence ? ».

Le regard d’Aleksandra se teinta de fierté en se portant sur sa fille.

« Bien vu… Elle a une dent contre vous mais avec une approche pertinente, je pense que c’est jouable… Il faudrait jouer finement mais ça changerait beaucoup de choses si vous parveniez à la convaincre.

-Je vais réfléchir à quelque chose en ce cas. J’espère que notre entrevue n’aura pas attiré trop l’attention sur toi… Comment te sens-tu là-bas, vraiment ?

-C’est usant parfois. Tu le sais sans doute, même si tu as été moins éduquée là-dedans que nous. Nous avons un rôle à tenir, montrer l’exemple aux autres Garous mais tous ne comprennent pas, tous ne voient pas, et tous ne montrent pas l’exemple. Réunir tout ça n’est pas évident. Et c’est usant parfois. D’autant que nous ne souhaitons pas recourir à la force brute et sans âme, ce qui ne rends pas la tâche facile. Donc sortir et te voir me fait du bien.

-J’en suis heureuse, tenta Hawani avec un sourire fragile, étonnée elle-même d’avoir ressenti un soupçon d’inquiétude aux dernières paroles de sa mère. J’espère que l’on pourra se voir plus souvent si la situation s’améliore entre nos deux communautés. Je suis toujours… partagée sur le passé, mais je veux regarder vers l’avenir.

-Un avenir ? Entre nous ? Tu viendras donc habiter parmi nous ? L’autre solution c’est que tu fondes ton Sept.

-Je pensais plus à des visites régulières ! Je ne compte pas quitter Détroit, même si j’ai déjà en quelques sorte fondé un Sept à Texarkana. Et revitalisé in extremis un autre à Miami, grâce à ton aide », conclut Hawani avec une petite révérence.

Le regard d’Aleksandra se fit plus sombre alors qu’elle ajoutait :

« À terme tu devra faire ce choix. Même si tu aimes Détroit, votre meute est trop importante pour y demeurer à jamais. Politiquement ce n’est pas une bonne chose ni pour vous, ni pour le Sept de Detroit. Et vous amenez nombre de surprises aux Garous du Sept dont certains se passeraient bien sans doute.

-J’entends ce que tu dis. Je partirai s’il le faut, mais aujourd’hui n’est pas le jour.

-Je n’insiste pas, tu feras tes choix. Viendriez-vous alors chez nous ?

-J’en parlerai à ma meute mais je pense qu’ils accepteront. C’est la moindre des choses. Tu penses que je peux préparer le terrain seule avec Kostina avant ?

-Envoies-y seule Kayla si tu veux que tout échoue ! lança Aleksandra avec amusement. Je pense que la voir seule pourrait être une bonne idée oui. A condition de le faire intelligemment et pas simplement par téléphone. Ravive son âme garou à elle aussi… Pas qu’elle l’ait perdue, elle, mais la voir encore plus forte contribuera peut être a réveiller les autres. ».

Hawani acquiesça et réfléchit. Elle invita sa mère à faire quelques pas.

-Une lettre pourrait faire l’affaire ? demanda-t-elle. Ou quelque chose de plus privé, discret ? Et ensuite une rencontre.

-Une proie si tu veux mon avis. C’est une chasseuse, toute ton approche devra tourner autour de ça.

-Bien sûr… Je vais réfléchir à quelque chose. ».

Les pas d’Hawani s’arrêtèrent près d’un arbre.

« L’anniversaire de Luna est dans deux mois, lança-t-elle en changeant brusquement de sujet. Ce sera son premier. Même si tu n’envoies rien, puis-je lui parler de toi ?

-Tu as besoin de mon autorisation ? demanda Aleksandra, surprise.

-Besoin, non. Envie, oui.

Aleksandra posa de nouveau un regard fier sur sa fille et dit d’un ton sans appel :

-Tu peux. Et je viendrai la voir si tu le souhaites. Elle a une part de mon sang dans ses veines et est élevée par une bonne et puissante mère, elle sera une forte et digne Crocs d’Argent.

Quelques instants passèrent, Hawani scrutant avec étonnement sa mère, désarçonnée par son acceptation. Mais Aleksandra ne broncha pas. Elle semblait persuadée que sa petite-fille serait élevée dans les traditions Crocs d’Argent, Fillan n’avait tout simplement aucune existence dans sa vision des choses… Mais elle semblait bien déterminée à passer outre le sacrilège que Luna représentait pour les siens.

Soit, pensa Hawani. Prenons les paris. Il est trop tard pour reculer maintenant de toute façon.

« Merci Mère, dit-elle. Dis-moi par quel moyen tu préfères recevoir l’invitation, et tu la recevras. Si finalement tu ne peux pas être présente pour une raison ou une autre, je parlerais de toi à ma fille.

-Peu importe le moyen, je viendrais si possible. Fais donc selon ta préférence. ».

Hawani sourit. Puis elle s’avança vers sa mère pour l’étreindre. Celle-ci marqua à nouveau sa surprise et répondit, d’une manière maladroite avant de briser finalement le silence :

« Un changement étonnant. C’est le fait d’être devenu mère ?

-D’une certaine manière oui. On se voit dans deux mois alors. ».

Hawani s’écarta et quitta sa mère, le cœur battant. Aleksandra la regarda partir, la respiration plus calme, comme apaisée.



17 avril 2025, après-midi

Kostina-Philadelphie-loge lune

La chambre d’hôtel était un peu miteuse, mais confortable. Hawani avait mis son plan en marche pour attirer l’attention de Kostina. Une adresse d’un lieu où elle se rendait souvent, techniquement hors du territoire de Philadelphie pour ne pas pouvoir être accusée d’avoir violé leurs terres. Merci maman pour les infos. Dans cette petite portion de forêt adjacente à la ville, elle avait laissé des traces et caché une lettre sous une pierre.

« Attrape-moi si tu peux. » était le seul message qu’elle lui avait laissé. Ça, et les nombreuses traces qu’elle s’était amusée à laisser à travers la forêt et la ville voisine, faisant de son mieux malgré ses piètres compétences en pistage pour tenter de proposer un défi qui saurait stimuler l’instinct de louve d’une chasseresse aussi douée que Kostina. Elle avait fait se terminer sa trace dans une chambre d’hôtel réservée sous un faux nom dans une ville proche de celle où elle était actuellement, et y avait laissé un burner avec un numéro enregistré. Celui du burner qu’elle surveillait anxieusement depuis maintenant deux jours. Rien ne disait que Kostina était déjà repassée dans cette portion de forêt et avait trouvé sa trace : Hawani avait prévu une semaine d’attente complète avant de considérer que son plan avait échoué…

Un bruit de verre brisé fit sursauter la jeune femme alors qu’une grosse pierre défonçait la vitre de sa chambre. Elle se releva immédiatement, soulagée de constater qu’il s’agissait de la pierre sous laquelle elle avait caché sa lettre à destination de Kostina.

Déjà ? pensa-t-elle en s’approchant de la fenêtre brisée.

La pierre semblait normale au premier abord, mais une légère trace de sang, de lapin sans doute, tâchait un des côtés.

A mon tour j’imagine ? Gaïa me vienne en aide…

Hawani prit ses affaires, régla en quelques minutes l’affaire de la vitre brisée auprès du propriétaire du motel (à grand renforts de billets), puis elle se mit en chasse…

Moins d’une heure plus tard et Kostina lui tombait dessus en Glabro depuis les branches basses d’un arbre centenaire. En lupus, Hawani glapit et tenta de lui mordre les mollets, toujours emplie de l’excitation de la chasse…

On va bien voir si je peux te réveiller l’esprit Garou Miss Perfect Hunter ! pensa-t-elle en l’attaquant.

Kostina encaissa le mouvement et chuta au sol avec élégance avant de regarder Hawani de haut.

« Ravie de te voir ici, tu es meilleure chasseuse que j’imaginais ! Bah alors, qu’est ce qui te prends ? ».

Hawani s’ébroua et se transforma péniblement en homidée, avant de lancer d’une voix encore un peu rauque :

« Salutations Kostina. Merci d’avoir accepté mon invitation. Je souhaitais te voir.

-Une jolie façon d’attirer mon attention en tout cas, c’est sûr ! Qu’est ce qui me vaut ce plaisir ?

-Tu sais que j’ai les faveurs de Luna. Je sais que tu les as aussi. Pourtant, on ne peut pas dire que toi et moi nous soyons vraiment semblables… Tu as ce que je n’ai pas. Et pourtant, nous voici toutes les deux sous l’œil d’une même entité. Je connais ma Lune, mais je serais aveugle d’en oublier les autres facettes. Montre-moi, si tu le veux bien.

-Les autres facettes de la Lune ? demanda Kostina, clairement surprise. Je ne comprends pas ce que tu veux dire. Pas que je pense qu’il n’y en a qu’une, mais je ne vois pas vraiment ce que tu entends par là. Cela étant, on peut l’honorer ensemble si tu le souhaites. On peut prendre ensemble le temps nécessaire à cela, cette nuit. Prendre le temps de la partager, et de partager autour d’elle. ».

La jeune femme semblait légèrement gauche. Hawani lui offrit alors un sourire doux en réponse, et dit :

« J’aimerais beaucoup, oui.

-Mais avant ça… Trouves-tu que la Lune est plus liée au spirituel ou au matériel ? Et penses-tu être dans sa lignée ou en opposition de ce point de vue là ?

-Le spirituel, sans le moindre doute. Même si ce serait réducteur de la limiter à ce domaine, étant donné que son cadeau le plus précieux pour moi a été matériel, d’une certaine façon… »

Les deux Garou se jaugèrent, chacune cherchant à comprendre l’autre et ses intentions. Ce fut finalement Kostina qui brisa le silence :

« Tu n’as pas répondu à la deuxième partie de la question. T’estimes-tu assez spirituelle pour mériter cette attention et ce cadeau ?

-Oui, répondit Hawani avec assurance. Je ne suis pas une chamane, ni une théurge. Je suis méticuleuse, j’ai conscience de l’importance du matériel, de l’organisation, de la prévision. Mais j’ai la foi, la dévotion, et Luna peut trouver en moi une championne dévouée.

-Rendez-vous tout à l’heure, face à la Lune alors. Minuit, l’heure du crime comme disent les humains. ».

Se transformant en un bond en louve, la jeune femme aux cheveux blancs s’éloigna.

Pas si mal pour un premier entretien… pensa Hawani, soulagée, avant de réaliser quelque chose. La piste de Kostina ne laissait aucune odeur derrière elle.

Reprenant la direction de la civilisation, Hawani se mit à réfléchir. S’agissait-il seulement de Kostina ? Une absence d’odeur était plus facile à mettre en place que d’en contrefaire une… Elle décida finalement que répondre à cette question n’était pas utile. Si c’était un test, d’une manière ou d’une autre, elle s’y soumettrait. Elle ne préparerait rien de spécial pour cette veillée nocturne, et se contenterait de venir telle qu’elle était, telle que Luna l’avait choisie, sans artifices destinés à se mettre Kostina ou qui qu’elle soit dans la poche.

Peut-être, simplement… Paramétrer un SMS à destination de Fillan, Kayla et Mia pour leur indiquer sa localisation si elle ne revenait pas dans les trois jours.

 

17 avril 2025, minuit moins cinq

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Hawani se présenta sur les lieux du rendez-vous. Kostina l’y attendait déjà ; elle avait troqué ses vêtements précédents pour une tenue blanche. Ses cheveux blancs, sa peau naturellement blanche et ses vêtements blancs la rendaient presque lumineuse sous l’astre lunaire. D’autres vêtements, aussi blancs que les siens, attendaient sagement posés dans une housse de pressing suspendue à une branche.

« C’est pour toi, si tu acceptes. Tu peux être habillée comme tu l’es si tu le souhaites aussi, mais j’ai pensé que tu apprécierais aussi de participer à mon cérémonial, comme je le fais.

-Je te remercie pour les vêtements.

Tu as tant d’avantages que je n’ai pas pour lui ressembler… pensa Hawani, un soupçon de jalousie et de tristesse l’étreignant alors qu’elle s’approchait de la housse pour se vêtir.

-Cela te va bien, dit son hôte. J’espère que tu n’as rien contre un peu d’escalade.

Kostina s’approcha d’un arbre plus grand que les autres et saisit sans effort une branche basse avant de se hisser et d’enchaîner plusieurs branches, s’élevant dans les airs de plus en plus.

Si tu penses que c’est la première fois que je dois grimper à un arbre pour rencontrer Luna… Raté ! pensa Hawani en souriant.

Elle se hissa en silence à la suite de Kostina, prenant son temps, se rappelant de ce que Ludmilla lui avait fait faire dans l’Umbra il y avait de cela plusieurs années désormais… Les jeunes arbres à côté d’elles furent rapidement dépassés. La montée mit encore quelques minutes avant de rejoindre les plus hautes cimes et l’arbre sur lequel les deux Garous grimpaient se révéla rapidement le seul à vraiment dépasser de la forêt. La lune était particulièrement visible au milieu de cette nuit, croissant brillant déchirant l’obscurité. Kostina se cala dans une fourche de branches, attendant manifestement qu’Hawani la rejoigne avant d’enfin prendre la parole en désignant la lune :

« Elle est particulièrement belle ce soir. Puissante. Forte. Hawani Oromo Arefani, tu m’as surprise par tes demandes, ta volonté, ta persévérance. Luna m’en est témoin, ce sont des choses que j’apprécie et que je révère. C’est ce qu’elle est pour moi. Luna est une force indomptable, incontrôlable, mais mesurée. Elle est nécessaire à notre vie ici bas. Elle est plus que Gaïa a mes yeux, qui nous a donné la vie, mais nous a ensuite abandonné à notre sort. Luna pose toujours sur nous son œil divin, nous invitant à être comme elle forte, puissante, indomptable, agissant pour le bien des hommes et des autres, mais aussi impitoyable. Elle offre aussi bien les marées nécessaires aux hommes que les inondations meurtrières. Concernant les esprits, elle en est aussi la maîtresse incontestée, mais je dois avouer que je m’y connais moins. Je lui rends toujours hommage après une bonne chasse quand je le peux. Comme je savais que nous allions venir, j’ai chassé un peu aujourd’hui et je t’ai gardé des morceaux. ».

Attrapant une glacière cachée dans le feuillage elle jeta des morceaux de viande à Hawani, puis se transforma en Crinos pour les dévorer. Hawani récupéra les morceaux de viande et se transforma elle aussi. Elle regarda la Lune autant qu’elle put au cours de sa transformation, malgré la douleur toujours présente, la déformation des nerfs optiques et des sens, toujours perturbante. Elle pria pour elle, en silence, dans une posture très inattendue pour sa carrure bestiale de Crinos. Puis elle porta la viande à sa bouche et en arracha des morceaux à pleines dents.

Kostina semblait dans la même dévotion. Le moment de partage des deux femmes ne dura que quelques minutes, puis Kostina reprit la parole :

« As-tu entendu parler des loges, Hawani ?

-Non.

-Notre tribu gouverne et doit gouverner. C’est ainsi qu’en a décidé Gaïa mais aussi les deux célestes que sont Luna et Hélios. Luna bien sûr en premier puisqu’elle a donné la couleur de notre fourrure. Hélios est venu le confirmer ensuite. De cette confirmation des deux célestes, sont nés deux loges secrètes dans notre tribu : la Loge du Soleil et la Loge de la Lune. Les premiers sont chargés de gérer l’aspect matériel des choses, et les seconds l’aspect spirituel. Les premiers sont des administrateurs, et les seconds des adeptes de l’aspect spirituel et intellectuel. Nous nous chargeons de veiller à ce que le moral reste intact, que les Crocs d’Argent ne se détournent pas de Luna, ni d’Hélios dans une moindre mesure, et que la tribu reste unie, et continue de diriger la Nation comme cela doit toujours être le cas. ».

Elle s’arrêta, le temps d’observer Hawani. Cette dernière écoutait avec attention, concentrée, réfléchissant à toute allure…

Une tradition désuète et obsolète ? Mère… Tu le savais quand tu m’as envoyé vers Kostina, non ? Comment ma tribu à Detroit a-t-elle pu passer ce genre d’informations sous silence ? Peu importe, reprenons. Elle dit « Nous ». Elle en est. Elle veut que j’en sois ? C’est un test. J’ai l’approbation de Luna et elle le sait. Pourtant je ne suis pas dans cette fameuse Loge. Est-ce compatible avec Suzaku ? Que font-ils réellement ? Luna est-elle… Est-elle vraiment pour cette organisation ?

« Nous cherchons toujours de nouvelles forces vives qui le méritent, reprit Kostina. La loge est secrète, très secrète. Mais de temps en temps, elle s’ouvre pour accueillir un nouvelle membre. Ou une nouvelle membre.

Son regard se fit plus insistant. Hawani reprit finalement la parole :

-Je suis fidèle à Luna, mais je découvre tout juste cette organisation. En quoi consiste-t-elle exactement ? Quelle est la liberté d’action de ses membres ? Quels sont ses engagements ? Je suis honorée d’en entendre parler. ».

Kostina se mit à rire.

« Bonnes questions que voilà, j’aurai été déçue que tu ne les poses pas ! ».

 

Ouf, pensa Hawani alors que sa compagne continuait :

« Les loges sont organisées de la même manière : il y a un Shaman dirige la loge, un Administrateur qui se charge de veiller à ce que les ordres du Shaman soient appliqués, en affectant à des membres des charges spécifiques, et le Châtelain qui se charge de veiller au maintien des possessions matérielles et spirituelles de la loge, et répertorie les changements de membres à l’intérieur de la loge. En dehors de ces tâches spécifiques, ponctuelles, chaque membre agit selon son propre libre arbitre, en conservant à l’idée l’intérêt de la Loge. ».

Hawani digéra ses informations, prenant une minute pour réfléchir.

Faire passer l’intérêt de la loge avant le reste. Être contrainte. Et en même temps, gagner en pouvoir afin de changer les choses de l’intérieur. Honorer Luna. Décision difficile… Si difficile…

Elle redressa la tête vers la silhouette mince de la lune théurgique. Une lune différente de son auspice, mais proche de celui de sa fille.

Envoie-moi un signe, pria-t-elle en la regardant avec intensité. Juste un signe. Que veux-tu que je fasse ?

Un rayon de lune vint illuminer la branche, fugace mais notable.

« Regarde, dit Kostina, la Lune nous indique que nous devons travailler ensemble ! ».

Hawani n’essaya même pas de percevoir si Kostina tentait de la manipuler ou non. Elle était tellement concentrée sur le signe, sur la lune, sur la lumière qui avait caressé la branche l’espace d’une micro-seconde… Mais rien de plus explicite ne vint.

« Mon allégeance va à Luna, répondit donc finalement Hawani, pas au Shaman de la Loge. Je le respecterai parce qu’il est mon supérieur, mais il n’est pas l’objet de ma dévotion. Si cela convient, j’accepte ta proposition.

-Qui décidera si le Shaman a raison et est en accord avec Luna ? Toi ?

-Oui. Luna m’a fait confiance pour me bénir, m’accueillir dans son royaume et me donner une fille. Elle saura me guider. Après tout elle m’a guidée jusqu’à cet instant avec toi.

-Pourquoi rejoindre la loge alors ? Si tu penses que tu peux mieux décider seule.

-Pour servir Luna, la tribu et la nation. Je ne pense pas mieux décider seule. J’assume simplement mon indépendance. Je suis une servante de Suzaku après tout, la Loge le sait.

-Tu sers Luna, Suzaku, la Nation, la Loge, la Tribu, ton Sept et ta Meute. Dans cet ordre là je dirais. Ça me va. Si ça te va, je remonterai ta candidature à notre Shaman.

Hawani s’inclina bien bas, la bouche encore sanguinolente des restes de la chasse.

« Merci, Kostina.

-Je ne suis que l’envoyée, Hawani. C’est toi qui a attiré l’attention de la Loge. Moi je ne fais que relayer une demande. Comme un miroir qui refléterait la Lune. C’est elle qu’il faut remercier, pas le miroir. »

Une autre rayon de lune vint illuminer l’amas de branches sur laquelle les deux formes blanches étaient assises…





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