Où Luna et sa grand-mère passent un « simple » moment en famille…
Caitlyn regardait avec intensité Luna marcher d’un pas hésitant dans le couloir. Les pierres polies par l’âge pouvaient rendre le déplacement hasardeux même pour un adulte, mais pour rien au monde Caitlyn n’aurait protégé Luna d’une éventuelle chute. Elle voulait avancer seule, elle l’avait manifesté, elle en était libre.
Deux ans et demi, ou deux cent cinquante ans, elle devait apprendre cette leçon : “La vraie liberté ne consiste pas à faire ce qu’on veut, mais ce qu’on doit et dans tous les cas, en assumer les conséquences”. Elle se souvenait avec émotion de cette phrase, et de celle qui l’avait prononcé, sa sœur, son âme-liée. Chaque fois qu’elle se sentait à une étape cruciale de sa propre vie, elle se rappelait ces mots. Et ce n’était probablement pas par hasard s’ils lui revenaient en mémoire, à cet instant précis. Ses pensées vagabondes furent interrompues par un petit cri de satisfaction de Luna qui avait atteint, plus vite que prévue, la porte légèrement entrouverte vers laquelle Caitlyn l’avait guidé. Caitlyn approcha pour l’ouvrir en grand.
“Va ma grande, explore !”
Luna s’avança et s’exécuta avec application, très curieuse.
“Ton père était comme ça aussi. Incapable de rester en place, incapable de ne pas explorer les frontières et les limites, testant sans relâche, pour essayer de mieux comprendre et surtout de se comprendre.”
La voix de Caitlyn résonna un peu bizarrement dans cette pièce, encore emplie d’une poussière qui n’avait pas été nettoyée depuis longtemps.
“Il n’a jamais pu faire les choses comme tout le monde, n’est-ce-pas ?”
Luna hocha la tête, manifestement saisie par la gravité de la voix de Caitlyn, probablement sans en comprendre vraiment le sens ou la portée.
“Tu en as des prénoms en tout cas. Tu es issue de plusieurs lignées prestigieuses, fortes, indépendantes. Même ta mère qui fait pourtant partie d’une tribu gangrenée par l’obéissance, le devoir et le mérite, semble assez indépendante pour avoir décidé de s’accoupler avec ton père, au détriment de toute logique. Je reconnais bien là ton père, capable de générer beaucoup trop d’émotions autour de lui. Bien trop pour son propre bien d’ailleurs.. Et donc j’imagine, que ça veut dire que tu dois aussi avoir hérité de cette caractéristique. Remarque maintenant que j’y pense, tu pourrais peut-être…”
Pendant que Luna écartait un vieux tissu, trouvant un vieux jouet en bois d’un air ravi, et chassant des doigts une araignée qui avait élu domicile dans un des angles du jouet, Caitlyn se dirigea vers une des pierres, la délogea rapidement de son support et pris un objet à la forme oblongue, ressemblant à un long doigt humain, probablement un peu trop longue pour avoir appartenu à un humain ordinaire. L’approchant d’un air dégagé de Luna, qui lui tournait le dos, elle regarda avec attention les runes gravées à sa surface. Quand celles-ci semblèrent s’illuminer, de manière à peine visible, elle demande tout doucement “Tu es là ? Enfin ?”
Luna, se retourna, leva la tête vers sa grand-mère, et hocha la tête. Ensuite, elle reprit le jouet par la tête qui, sans avertir, se détacha du reste du corps.
Caitlyn attendit quelques secondes encore, puis rangea rapidement l’objet où elle l’avait pris, avant de se retourner vers Luna, la découvrant venant de franchir la porte, repartir dans le couloir. S’élançant derrière elle, elle la rattrapa au moment où Luna tentait de tirer une pierre au niveau du sol, un peu loin dans le couloir. La regardant curieuse, Caitlyn poussa un hoquet de surprise quand celle-ci se détacha rapidement, et fit apparaître une cavité creusée. “Mais…”
Luna gloussa et plongeant la main sans peur dans l’espace en question, sortit un vieux collier serti d’une la pierre légèrement translucide, légèrement veinée de blanc, presque opalescente. Caitlyn avança les doigts et fût surprise de voir Luna disparaître avant de réapparaître deux mètres plus loin. Celle-ci ouvrit la bouche, de surprise, mais plutôt qu’un cri, une phrase, parfaitement compréhensible, légèrement scandée en sortit : “Moi, j’en ai vécu des amours malheureux, des paroles aussi belles que mensongères, des paroles légendaires, des amours miséreux. Alors prends-en soin, prends soin du cœur que tu as entre les mains”. Au vu de la réaction de Luna, celle-ci ne comprenait pas ce qu’il se passait, et lâche de réflexe le collier, qui tomba au sol. Caitlyn se mit à courir. Au moment où Luna, manifestement à nouveau curieuse, allait poser la main sur lui, Caitlyn s’en empara et le glissa dans sa poche.
“Ça suffit pour aujourd’hui, ma petite fille. J’ai un autre endroit où te montrer. C’était un des endroits préférés de ton père. On y voit toute la plaine aux alentours, de tous les côtés. Et je transmettrais la même leçon qu’à ton père jadis, même si lui, en tant qu’homme, ne semble pas l’avoir vraiment compris…” Et en tirant doucement Luna par la main, elle lui chuchota, doucement, comme sur le ton du secret : “Rappelle-toi, toujours, que la conquête du pouvoir n’est jamais notre but. Le seul monde qui mérite d’être conquis est celui que délimitent les frontières de notre corps et celles de notre esprit. Le monde qui s’étend autour de nous, n’a pas besoin de maître..”
Le chaudron créatif 