Loup-garou : Les contes de l’Aurore

The Rock of the Endless ou le rocher de l’éternité

Un conte qui sent le vent et la poussière…

Cette histoire commence bien avant les « il était une fois »… il n’y avait pas encore d’humains ou de loups, mais Gaïa était déjà là. C’était le temps de l’immensité et des reptiles, du subtil et de puissantes entités. Elles régnaient sur la monde avec la bénédiction de la Terre et de Séléné, on les appelait les Lézards rois…

 

Gaïa, le Serpent et l’Araignée vivaient alors en harmonie, et la vie abondait dans les divers royaumes. Les rois lézards, au sommet de leur gloire, avaient fait tailler un immense cristal, monument témoin de leur mémoire. Chaque génération, des hauts faits s’y ajoutaient au cœur de leur palais.

 

Cela dura si longtemps que les rois sauriens pensaient que jamais ça ne s’arrêterait.

A l’éclosion du prince héritier, le roi de leur plus grand royaume s’exclama :

« Louée soit Gaïa ! Notre civilisation était déjà la plus grande qui soit, et maintenant que mon fils Tyr est né, nous avons atteint la perfection suprême ! ».

A ces mots, Gaïa sut qu’il était temps d’envoyer le Rampant tester cet enfant qui se croyait tous les droits…

Le Serpent se glissa partout sur terre, mer, il parla aux oiseaux dans les airs… puis, enfin, il sut ce qu’il fallait faire. Dans le royaume, peu à peu une étrange langueur s’empara des futures mères. Leurs œufs étaient alors morts-nés, et souvent ces dernières ne se réveillaient point… 

Les larmes coulèrent à flot, mais le roi les ignorait, bien trop occupé à agrandir son château pour lui et le petit prince, voulant un écrin taillé pour la magnificence de sa dynastie éternelle, se disant que ce genre de vétilles avaient toujours été résolues par la magie puissante de son espèce… à tel point qu’il se rendit à peine compte que la reine prenait soin d’un nouvel œuf. Et bientôt, elle sentit à son tour les premiers signes de fatigue… elle usa alors de toute sa magie et de son énergie restante pour protéger l’avenir.

Son époux se rendit enfin compte de sa maladie et fit alors venir à la cour tous les magiciens et devins pour vaincre cette malédiction, promettant monts et merveilles à qui parviendrait à sauver la reine. Mais elle sentait qu’il était trop d’ores et déjà trop tard  pour elle et fit venir sa sœur à son chevet. Elle lui fit promettre de veiller sur l’œuf et plus tard sur l’enfant… au moment où elle rejoignait le monde des esprits, la coquille de l’œuf se fendit… laissant apparaître deux tout petits êtres. La sœur les prit dans ses bras pour présenter au roi les petites princesses et princes. Mais ce dernier recula : quoi, c’était pour ces avortons que sa femme s’était sacrifiée ?! Ils n’avaient ni la force, ni la beauté de Tyr et il refusait de perdre son temps avec eux !

Enfermé dans son chagrin et dans son château, le roi passait tout son temps avec son aîné. Il remarqua à peine quand quatre magiciens particulièrement doués parvinrent enfin à éliminer la langueur éternelle… il restait derrières ses hauts murs, accordant tous les souhaits de son aîné.

Quant aux jumeaux, ils furent élevés en secret par leur tante. Dans ce palais où ils n’étaient que de ombres, l’avenir paraissait sombre… C’est pourquoi, dès qu’il le put, Krono plongeait dans les eaux du palais avec les serpents aquatiques pour rejoindre la rivière, les forêts… Sa sœur Korba trouvait son refuge dans les vieux manuscrits, et c’est ainsi qu’elle apprit de nombreux secrets…

 

Mais le Serpent n’en avait pas terminé. Partout sur terre, il contemplait la peur qui s’était installée depuis l’apparition de la maladie, les murmures et les dissensions… mais surtout il regardait Tyr grandir pour devenir peu à peu un être encore plus puissant et fier que son père. Alors que le prince approchait de la fin de l’enfance, il se glissa dans la fontaine de la cour. Tyr s’y rendit bientôt pour boire un peu d’eau claire et entendit ceci :

« Oh Prince, tu es déjà grand, mais d’autres encore sont plus puissants que toi…

– C’est faux, nous régnons partout et sur tous les animaux ! Comment oses-tu, rampant ?!

– Cela est vrai, mais même ici, ton pouvoir est encore limité et tu ne peux rien face au ciel…

– Nul ne peut atteindre les cieux !

– Je pourrais t’y aider… tu es déjà le plus puissant parmi les tiens, mais avec mon aide tu pourrais véritablement changer le monde, laisser ta marque pour l’éternité… je le vois dans les étoiles.

– Vraiment ? Tu voudrais me donner plus de pouvoir ? Mais que voudrais-tu en échange ?

– Rien, si ce n’est le fait de pouvoir rester à tes côtés… le changement est parfois nécessaire et tu me parais le vaisseau idéal…

– Si tu me jures que c’est tout ce que tu veux, j’accepte ! ».

 

Le Serpent s’enroula alors autour de son cou en un torque ondulé brillant… et commença bien vite à murmurer à son oreille.

En peu de temps, l’autorité du prince se fit plus absolue, il voulait contrôler encore davantage ses sujets, ses terres, la Nature même. Il voulait marquer l’histoire d’une empreinte éternelle et brillante et n’écoutait plus personne, sinon son collier sinueux. Certains tentaient bien parfois de protester, mais il savait user à la fois de mots de miel et de lianes discrètes et mortelles quand c’était nécessaire… son père avait bien quelques scrupules, mais il se disait que cela ne durerait qu’un instant, juste le temps du changement.

 

Krono et Korba voulurent également persuader leur frère de ne pas abuser de son pouvoir… Korba sentait bien qu’il y avait anguille sous roche en observant cet étrange collier, et c’est peut-être pourquoi l’écailleux chuchoteur recommanda à Tyr de les éliminer.

Malgré ses ambitions, ce dernier ne put s’y résoudre, mais il ordonna qu’on les condamnât à l’exil.

Le vieux roi, qui ne les avait pas revus depuis leur naissance, ne protesta guère… il ne se mêlait de toutes façons presque plus des affaires du royaume.

 

Tyr était désormais très puissant et dans tous les royaumes, il était le plus grand. Mais le Serpent lui chuchota de regarder vers le ciel… et c’est là qu’il vit Séléné sous un nouveau jour.

La lune était superbe, brillante, ronde, sa face souriante était lisse et parfaite… elle régnait sur la nuit en maîtresse absolue !

S’il réussissait à avoir la Lune, ensemble leur pouvoir serait infini, rien ne pourrait lui résister sur terre…

Mais le vieux roi, enfin, arrêta de se taire… Il supplia son fils de ne pas essayer de s’approprier une magie céleste, Gaïa et Séléné toujours devaient allaient de concert… mais il s’échinait en vain, et il était trop faible face à Tyr et ses pouvoirs… ce dernier l’envoya 6 pieds sous terre, dans une grotte sous un immense volcan.

Puis, avec des mots de velours et une voix d’alto, il s’adressa à celle qui illuminait les nuits :

Oh Lune qui nous offre ta blanche lumière,

Reine parmi les cieux et les étoiles

Rejoins donc notre ensorcelante toile

Écoute tout au fond de ton cœur l’aventurière

Tous deux goûterons le fruit de nos connaissance,

La preuve de la véritable puissance…

Entends donc l’appel de ce simple mortel

Viens découvre de plus près la verte terre

Quitte donc ton pâle domaine solitaire

Ensemble nous ferons quelque chose d’intemporel !

La Lune était presque aussi ancienne que Gaïa et connaissait bien des choses, elle savait qu’il y avait nombre de tâches essentielles là-haut dans l’ether… et la plus grande part d’elle préférait ignorer ce mortel, pour tout puissant qu’il soit. Mais une minuscule  voix résonnait dans son cœur : et si elle allait jeter un œil ? Voir la Terre de plus près, contempler sa beauté et ses créations…  Après tout, ce Tyr semblait exceptionnel et découvrir ce qu’ils pourraient faire en mêlant leur magie… cette petite voix chuchota dans les rêves de Séléné avec insistance durant un long moment. Durant plus de 27 nuits, la voix était là, la Lune avait beau se tourner et se retourner de tous côtés, se cacher sous les couvertures, elle était toujours là.

Enfin, de guerre lasse, la Lune proposa à sa voix d’aller brièvement sur Gaïa, et de revenir quand elle en aurait eu son content… La voix décida de se baptiser Sirona pour ce voyage, et adopta un avatar aux saut puissants pour bondir sur Terre… avant de se changer en superbe reine lézarde d’albâtre devant un Tyr ébloui !

Il commença par lui faire visiter son palais et ses jardins, ses nombreux bassins où deux lunes se miraient, les innombrables créatures des mers et des forêts… Sirona était enchantée. Mais bien vite, Tyr se fit impatient : il demanda à la rêveuse pâle de l’aider dans sa quête : il voulait que lui et sa lignée dirige toutes les créatures des différents royaumes : après tout, n’était-il pas le champion de Gaïa, le diamant de sa création ?

Atterrée, Sirona tenta désespéramment de le dissuader d’une pareille folie, mais Tyr refusait de l’entendre… quand elle s’obstina dans son refus, il se mit à tempêter, puis à la menacer… elle n’était plus chez elle, et donc plus tout à fait immortelle…

Du fond de la forêt, Korba ressentit le puissant rituel qu’incantait son frère… elle se transporta au palais et supplia le roi de ne pas tenter d’emprisonner la Lune : les conséquences feraient de tous ici l’infortune !

Mais Tyr lui rit au nez, Sirona n’était pas exactement le Lune au sommet, et il avait bien assez de magie pour la soumettre à son bon droit… Korba usa alors de sa propre magie pour contrer le rituel, assez longtemps pour que Sirona retrouve sa forme première…

Fou de rage, Tyr emprisonna alors sa sœur dans la prison lunaire : Korba fut figée dans un immense bloc de glace…, puis, aidé par le Serpent, il partit à la poursuite de sa lune rebelle sur sa meilleure monture.

Mais cette dernière faisait des bonds si rapides et si puissants, qu’à chaque fois qu’il pensait enfin l’attraper, un saut l’en empêchait ! Malgré tout, le rituel avorté empêchait cependant Sironé de rejoindre Séléné… Et à chaque cabriole, un peu de poussière blanche retombait tombait de sa fourrure…

Tyr courait toujours sans relâche, sans se rendre compte que la forêt, les rivières, le soleil lui-même disparaissaient peu à peu sous une chape de poussière…  

Et Krono ? Avait-il abandonné sa sœur ? Bien sûr que non, il s’était rué au palais suivi de ses nombreux amis…  mais il n’était pas arrivé à temps pour empêcher le sort de sa sœur. En la contempla, à la fois si loin et si proche, il pleura des larmes amères sans pouvoir s’arrêter. Ses compagnons animaux, touchés, l’imitèrent 7 jours durant…  un rayon de soleil se refléta alors sur un lac salé et Korba le serra alors dans ses bras.

Mais partout sur Gaïa, les choses se gâtaient… la folle poursuite avait engendré le grand froid, arbres, animaux, tous ou presque y succombaient peu à peu… Tyr se rendit enfin compte de sa terrible erreur et retourna aussitôt au château. Il tomba nez à nez avec ses frères et sœur. Korba le supplia de les aider, de réparer ses torts : en emportant le cristal, ils pourraient le mettre à l’abri pour ceux qui survivraient… mais Tyr s’indigna : quoi, sa sœur renonçait à sauver leurs sujets, à se venger de Siona, par qui tout était arrivé ?! Au contraire, avec l’aide de Korba et du cristal ancestral, il pourrait accomplir le sortilège destiné à mettre la Lune à bas, avec son avatar, et peut-être également sa mortelle poussière… Mais Korba s’y refusa. La Lune était précieuse, nécessaire à Noun et Gaïa, leurs deux mères. Tyr n’aurait jamais du vouloir soumettre Sirona !

Elle bondit ensuite pour atteindre le cristal. Krono et ses compagnons se placèrent en travers du chemin de Tyr… c’est ainsi que les jumeaux se saisirent du cristal et s’enfuirent, le roi furieux à leurs trousses.

Korba, affolée retourna voir sa tante : son frère était plus puissant qu’elle, il disposait d’une magie inconnue jusqu’ici… Sa tante la rassura, sa mère avait gardé quelques fétiches pour protéger ses enfants… et elle ne devait pas oublier la magie de Gaïa ! Sa nièce la remercia vivement et ils repartirent.

C’était l’heure bleue, ils étaient sur le point d’être rattrapés, quand Korba sortit une plume couleur de nuit… En un tournemain, elles les changeaient en oiseaux noirs… Krono appela d’autres oiseaux, qui admirèrent fort le plumage des jumeaux et les aidèrent… ils volèrent sous la Lune… mais au petit matin, Tyr n’était toujours pas loin !

Alors, à regret, Korba arracha la manche de sa robe couleur d’eau pour la jeter derrière… Krono appela les plus grandes créatures à nageoires et à crocs pour lutter contre Tyr. En se sacrifiant, elles leur permirent de gagner un temps précieux… 

Les jumeaux sentaient qu’ils approchaient de l’endroit idéal pour le cristal, mais Tyr était de nouveau sur leurs talons…

Alors, enfin, Korba se résolu à jeter la fine couronne de sa mère, aux couleurs de terre… et partout des montagnes les entourèrent ! Krono chanta d’une voix mugissante pour faire appel au vent. Entre les vallées et les pics, ce dernier souffla, souffla pour mieux égarer Tyr.

Pendant ce temps, les jumeaux découvrirent un trou s’enfonçant profondément dans la terre… un endroit secret, relié à Gaïa, un nid pour préserver connaissances et sagesse…

Mais le Serpent aida Tyr une dernière fois, et c’est ainsi que le roi découvrit Korba et Krono. Furieux, il s’apprêta à les foudroyer sur place… Alors, les jumeaux unirent toutes leurs forces et la magie ancestrale et se transformèrent… cristal, énergie vitale et art primal se mêlèrent en un unique roc, un œuf de pierre…

 Le Serpent, sa tâche accomplie, s’était glissé dans la Terre. Furieux, désespéré, Tyr fit appel à toute son énergie, à la foudre du ciel et au tonnerre… mais il avait sous-estimé la puissance de deux cœurs unis… La foudre rebondit sur l’œuf pour revenir sur Tyr. Le roi si fier s’enflamma aussitôt pour bientôt redevenir pâle poussière…

Sous le volcan, l’ancien roi son père entendit son cri et supplia la Terre de le laisser rejoindre son fils qui tant souffrait… Gaïa lui accorda son souhait : il se mêla au feu sous-terrain pour rejoindre les montagnes, formant une nouvelle chaîne, et bientôt, près du rocher, on vit se mêler des cendres noires aux cendres blanches… le père était enfin réuni avec ce fils tant aimé.

Puis, le grand froid atteignit à son tour le trou, le recouvrant de neiges et de glaces…

Des éons passèrent… beaucoup moururent sous la poussière, mais d’autres s’adaptèrent : plus petit, plus profond, plus haut… et puis le ciel réapparut et petit à petit, Gaïa se repeupla… l’oeuf-roc était toujours là. Des meutes de chasseurs le voyaient parfois au travers de la glace, en traversant les montagnes, et il semblait ne jamais devoir changer. C’est ainsi qu’une tribu le baptisa : The Rock of the Endless, le rocher de l’éternité.

Et les éons passèrent… la terre se réchauffa, certains chasseurs s’installèrent à demeure… on ne voyait plus de glace à présent, mais une grande étendue d’eau qui paraissait sans fond… les mots eux-même changèrent, et on parlait à présent du Lock of the Enless… on racontait qu’un secret ou qu’une dangereuse créature y était dissimulée ! Un jeune homme pensait même avoir entendu des craquements étranges puis un chant…

Here lies our land: every airt
Beneath swift clouds, glad glints of sun,
Belonging to none but itself.

We are mere transients, who sing
Its westlin’ winds and fernie braes,
Northern lights and siller tides,

Small folk playing our part.
‘Come all ye’, the country says,

Win with me, the one with the most heart.

Et passèrent les éons… certains semblaient à nouveau vouloir tout contrôler, et le grand Serpent semblait avoir perdu la raison, refusant l’équilibre, ne cherchant plus que l’annihilation… Le Loch Ness n’est plus qu’un lac pour de nombreux terriens…

 

Certains rêveurs murmurent cependant que l’œuf a éclos, et que sous une forme unique et nouvelle, les jumeaux éternels voyagent dans le monde des esprits à la recherche de nouvelles merveilles… et que parfois, une créature millénaire apparait à ceux qui savent regarder, pour partager un peu de sa sagesse infinie, ou presque.

 

Sirona, elle, court toujours. Sa magie de poussière s’est mêlée à Gaïa, et on dit qu’à force de parcourir les Terre, Luna s’est beaucoup attachée à toutes ses créatures…

 

On raconte aussi qu’une fois par millénaire, près du Loch si ancien, Sirona et Nessie se retrouvent la nuit pour parler de mystères… mais ceci est une autre histoire !